jeudi 15 mai 2008

Sur l'écrire et la modestie

Ecrire est un exercice de modestie et mérite au moins pour cette raison d’être pratiqué. Clément Rosset, dans l’introduction d’un livre dont je ne me souviens pas le titre, dit qu’on peut longtemps s’illusionner d’avoir des pensées de haute volée, et que c’est dans la confrontation à l’épreuve de l’écriture que va se révéler la vacuité plus ou moins vertigineuse de ce qu’on croyait pouvoir être de bonne tenue. Tant qu’elles restent dispersées ou embryonnaires dans le brouillard diffus de mes pensées, mes réflexions peuvent me donner à moi-même l’illusion d’une certaine puissance. Dès lors que je tente de les mettre par écrit, c'est-à-dire que je m’impose de les mettre dans un certain ordre, de leur donner une certaine structure, elles m’en montrent crûment la limite de leur profondeur et, si j’ai un peu lu, leur manque d’originalité.

C’est la raison pour laquelle il faut prescrire aux immodestes, c'est-à-dire à beaucoup et en particulier à moi-même cet exercice, non pas dans le but de rabaisser quelque caquet, mais parce qu’il est probablement un ressort amer d’une forme de progrès de l’esprit. La première tentation de celui qui s’y livre sera souvent d’y renoncer bien vite : c’est parce que mesurant immodestement l’écart entre sa production et la production dont il pensait il y a quelques minutes encore pouvoir être l’auteur, il enfouit la tête sous le sable, préfère jeter bien vite la misérable copie pour pouvoir savourer sans obstacle l’illusion d’être possiblement un génie de la pensée. Ce réflexe se manifeste également dans le syndrome des histoires inachevées, que leur auteur aura préféré laisser en friche pour continuer de penser qu’elles auraient pu constituer de belles histoires plutôt que de les achever en histoires de peu d’intérêt. Ce faisant l’illusion pourra rester douce mais le progrès médiocre. Commence par finir ce que tu as commencé.

Ecrire, fusse en des mots plus simples et de manière approximative des idées que d’autres ont déjà et bien mieux exposées, des histoires que d’autres ont déjà et bien mieux racontées, c’est se donner à soi-même de mesurer véritablement l’épaisseur des dites idées, la beauté des dites histoires, et par suite de commencer le chemin intellectuel qui nous en sépare.

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